Posturothérapie : le journal de la posturologie de Lisbonne

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mardi, septembre 06, 2005

50/ Etude des réflexes posturaux lors des vols spaciaux


Modifications de la marche et de l'equilibre chez des cosmonautes russes participant a des vols spatiaux de longue durée (6 mois).

INTRODUCTION
Lors des vols spatiaux, les programmes moteurs utilisés sur Terre ne sont pas adaptés à l’orientation et aux activités posturo-cinétiques en micropesanteur. Pendant le vol, la micropesanteur modifie considérablement la façon dont les récepteurs sensoriels analysent les modifications de l’environnement.

Il s’en suit :

1) une recalibration des entrées sensorielles, principalement de l’entrée proprioceptive céphalique labyrinthique (récepteurs otolithiques de l’oreille interne), de l’entrée cutanée plantaire (récepteurs à la pression des soles plantaires) et de la proprioception musculaire (récepteurs des muscles extenseurs impliqués dans le maintien de la posture bipède propre à l’Homme), et ;

2) une nouvelle intégration de ces données par le système nerveux central. Cet état adaptatif se met en place assez rapidement (généralement en moins de 72 heures).

Certains cosmonautes ont plus de difficultés que d’autres à s’adapter ; ils peuvent alors présenter une symptomatologie de malaise général (troubles digestifs et neurologiques) d’intensité plus ou moins importante. Ce malaise, appelé Mal de l’Espace ou Syndrome d’Adaptation à l’Espace, contraint le cosmonaute à diminuer son activité motrice et peut avoir un retentissement négatif sur le bon déroulement de la mission.

Passés les premiers jours, l’adaptation qui se met en place au cours du séjour spatial est si parfaite, qu’au retour en gravité terrestre (plus particulièrement après les vols de longue durée) apparaissent des erreurs de perception et des réactions motrices inappropriées qui se caractérisent, entre autre, par des troubles de la marche, de la posture et de l’équilibre.

Grâce à une collaboration avec le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) et avec le Centre d’Entraînement des Cosmonautes (CPK) de la Cité des Etoiles près de Moscou, notre équipe a pu mettre en route une expérimentation qui a permis d’analyser les modifications de la marche, de la posture et de l’équilibre de 12 cosmonautes russes ayant effectué des séjours de longue durée (6 mois) dans la station orbitale MIR.

Les buts principaux de cette expérimentation étaient de compléter des études antérieures et de comprendre comment les systèmes sensori-moteurs s’adaptent à l’environnement particulier qu’est la micropesanteur.

MATERIEL ET METHODES

Les paramètres spatio-temporels de la marche ont été analysés à l’aide d’une technique qui mesure simultanément les déplacements longitudinaux des 2 pieds lors d’un parcours de marche de 6 mètres de long. La posture et l’équilibre dynamique ont été analysés à l’aide de techniques posturographiques utilisant une plate-forme de forces et une plate-forme mobile à bascule spontanément instable (plateau reposant sur une portion de cylindre de 55 cm de diamètre).

La contribution des informations visuelles au maintien de la posture et de l’équilibre dynamique a été appréciée en comparant les résultats obtenus les yeux ouverts à ceux obtenus les yeux fermés.

Les examens ont été effectués 60 et 30 jours avant le vol, et 2 et 4 jours après le vol (R2 et R4).

La comparaison des paramètres mesurés aux différentes périodes a été effectuée par une analyse de la variance (ANOVA) avec mesures répétées. L’analyse des contrastes a permis a posteriori de comparer les différentes périodes 2 à 2.

RESULTATS

- Après le vol à R2 :

les modifications de la marche sont importantes : les cosmonautes sont capables de marcher à une cadence élevée mais leur vitesse de marche est significativement plus basse que celle d’avant le vol ; la diminution de la vitesse est due à un raccourcissement de la longueur des pas, et plus particulièrement des pas gauches (!). Les cycles de marche sont modifiés : en raison d’une augmentation significative des durées de double appui, les temps d’appui sont proportionnellement plus longs que les temps de balancement ;

il existe une nette difficulté de maintien d’une posture verticale stable : il y a, particulièrement lorsque les yeux sont fermés, une augmentation de la longueur et de la surface du statokinésigramme (enregistrement du déplacement, sur le plan de la plate-forme, du centre de pression des pieds ; ce dernier peut être assimilé à la projection au sol du centre de gravité) ;

l’équilibre dynamique, plus particulièrement dans le sens sagittal (antéro-postérieur), est plus difficilement maintenu à R2 qu’avant le vol, surtout lorsque les yeux sont fermés. Les analyses fréquentielles des oscillations corporelles, obtenues par transformées rapides de Fourrier (FFT), révèlent des changements de stratégies : à R2 le maintien de l’équilibre des cosmonautes est plus visuo-dépendant qu’avant le vol.


- A R4,
la plupart des paramètres de la marche, de la posture et de l’équilibre dynamique ont déjà retrouvé leurs valeurs d’avant le vol ; seuls les paramètres de l’équilibre dynamique, mesurés dans le plan sagittal les yeux fermés restent encore augmentés, suggérant que les yeux fermés, l’utilisation des informations des récepteurs proprioceptifs céphaliques et musculaires, et l’efficacité des boucles de régulation réflexe du tonus musculaire partant de ces récepteurs (réflexe myotactique et réflexe vestibulo-spinal) restent encore déficientes.

DISCUSSION

Cette étude confirme des résultats antérieurs et notamment l’idée, que lors des vols spatiaux, le contrôle des activités posturo-cinétiques est surtout visuo-dépendant ; ils montrent aussi que la non-utilisation de certains systèmes sensori-moteurs semble surtout perturber l’activité musculaire des muscles posturaux distaux, plutôt que proximaux (l’équilibre dans le plan latéral dû à l’activité de muscles axiaux et proximaux, est beaucoup moins perturbé au retour que l’équilibre antéro-postérieur, qui est lui surtout dû à l’activité des muscles distaux des articulations des chevilles).
Certaines mesures prophylactiques pourraient donc avoir des effets bénéfiques sur les altérations posturo-cinétiques post-vol, par exemple des méthodes qui permettraient une stimulation des propriocépteurs musculaires, des pressocépteurs de la sole plantaire et des récepteurs otolithiques pourraient entretenir le tonus des muscles extenseurs et prévenir la non utilisation des réflexes posturaux.
Philippe DUPUI, Richard MONTOYA et Marie-Claude COSTES-SALON.
Laboratoire de Physiologie, Faculté de Médecine,
133 route de Narbonne, Toulouse, France.