Posturothérapie : le journal de la posturologie de Lisbonne

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vendredi, décembre 31, 2004

20/ L’appareil manducateur influe t’il sur la fonction visuelle ?

Seul auxiliaire médical habilité à pratiquer les bilans de déséquilibres oculomoteurs et leur rééducation (décret de compétence,2/7/01), l’orthoptiste, dans son exercice quotidien, est confronté aux troubles fonctionnels consécutifs aux dysfonctionnements sensoriels et moteurs de la fonction visuelle.

Ceux-ci se traduisent:

1/ par des signes oculaires :

subjectifs : fatigue visuelle, difficultés de fixation, vision floue, sentiment de mal voir, dédoublement...

objectifs : douleurs oculaires et rétrobulbaires, larmoiements, irritations, grimaces.

2/ par des signes généraux :


maux de tête, vertiges, nausées, troubles de l'équilibre, douleurs cervicales, difficultés de concentration, fatigue générale, intolérance aux lunettes...

Lors du bilan orthoptique prescrit par le médecin, il s'agit pour l'orthoptiste, de préciser ou de mettre en évidence une déficicience de la fonction visuelle qui puisse expliquer ces symptômes, d’en analyser les répercussions sur le voir, le regarder, l’organisation gestuelle, la posture et l’équilibre, et de proposer un projet thérapeutique.

Mais l’évolution des connaissances en anatomie et en physiologie (BERTHOZ, ROLL, REYDY, HARTMANN), de nombreux travaux des écoles de posturologies (GAGEY, DA CUNHA, DA SILVA,, MARRUCHI, CLAUZADE) nous ont conduits à une approche plus globale des troubles de la vision.

Des observations répétées (insuffisance de convergence majeure avec multibagues, vision améliorée par gouttière), parfois l'efficacité limitée de la rééducation orthoptique mais l’amélioration constatée suite au traitement occlusodontique, nous ont amenés à prendre en compte le rapport de l'oculomotricité et de l'appareil manducateur.

Des réflexions partagées avec le Professeur MAINETTI et son équipe nous ont aidés à élaborer un protocole qui nous permet d’analyser les éventuels effets d’une modification de l’occlusion dentaire sur les différents paramètres de la fonction visuelle.

C'est donc à partir d'une étude comparative de bilans orthoptiques pratiqués "avec" et "sans" contact mandibulaire que nous l’évaluons.

Pour celà, nous utilisons les cires fournies par l’occlusodontiste, la gouttière du patient, le test des 2 cotons préconisé par les posturologues.

La correction de l’amétropie après une étude approfondie «objective» et «subjective» de la réfraction, l’élimination de toutes pathologies associées par l’ophtalmologiste, le port de lunettes parfaitement adaptées et constant s’il est nécessaire, sont bien sûr des conditions préalables incontournables.

Mais il est peut-être intéressant de vous décrire brièvement le bilan orthoptique, qui, comme tout bilan, commence par un interrogatoire précisant :

  • la gêne fonctionnelle du patient,
  • ses besoins et ses contraintes visuelles,
  • ses antécédents médicaux (généraux, ophtalmologiques, orthoptiques, posturaux).
  • L'existence de douleurs, de craquements au niveau de l'articulation temporo mandibulaire, de blocage au niveau des mâchoires, d'un bruxisme sont à faire préciser.

Le bilan orthoptique est un bilan d'évaluation au cours duquel sont étudiés les différents paramètres de la fonction visuelle associé à l’observation du comportement.global du patient (contraintes posturales et tensions musculaires)


Analyse des différents paramètres :

  • bilan moteur : déviation des axes visuels, action des muscles oculomoteurs, motricité
  • bilan sensoriel : acuité visuelle, fusion, vision stéréoscopique
  • bilan fonctionnel : localisation, coordination oculo gestuelle
  • bilan accommodatif : punctum proximum d'accommodation, mise en jeu et relâchement de la vision nette selon les distances(vergences accommodatives), fusion
  • bilan postural : prise en compte de l'influence des différents capteurs.


Lors de ces bilans comparatifs, nos observations sont de deux ordres :

dans une majorité de cas, l'appareil manducateur n'interfère aucunement sur l'oculomotricité et la vision binoculaire,

l'appareil manducateur influe sur les paramètres, moteur, sensoriel, accommodatif, de la fonction visuelle de façon isolée ou intriquée.

L'orthoptiste est alors amené à prendre en compte les critères orthoptiques habituels mais aussi les conséquences du rapport oculomotricité/appareil manducateur pour l'élaboration d'un projet thérapeutique adapté.


Nous pouvons y réfléchir ensemble :

Il existe un trouble de la vision binoculaire ou de l'oculomotricité :

  • Si les bilans sont superposables « avec » et « sans » shuntage de la mâchoire, la rééducation orthoptique paraît conseillée pour régler le problème visuel, elle vise à normaliser les capacités motrices ou sensori-motrices selon l’état sensoriel et à favoriser ainsi la disparition des signes fonctionnels.

  • Si les bilans montrent une amélioration des capacités visuelles « avec » le shuntage des mâchoires, deux situations sont à envisager :


  • l'amélioration est partielle, il semble judicieux d'associer la rééducation orthoptique au traitement occlusodontique

    l'amélioration est totale, la vision binoculaire et l'oculomotricité sont normalisées, les troubles visuels sont d'origine extra oculaire, le traitement du dysfonctionnement de l'appareil manducateur s'impose pour régler le problème visuel. La rééducation orthoptique n'est pas proposée, un suivi orthoptique est conseillé.

  • Si les bilans montrent une dégradation des capacités visuelles « avec » le shuntage de la mâchoire. Il faut régler au mieux le problème visuel par la rééducation orthoptique, mais y a t'il une solution à proposer pour l'appareil manducateur ?
  • Toutes les observations nous montrent l'intérêt de la prise en compte du rapport de l'oculomotricité et de l'appareil manducateur et nous persuadent de l’utilité de l’approche globale de la fonction visuelle.

    Elles nous incitent à réfléchir sur les limites de la correction optique et de la réeducation orthoptique.

    Mais elles ne doivent pas nous faire oublier que des troubles fonctionnels bénins comme le sentiment de mal voir ou l’intolérance aux lunettes (parfois considérés comme anecdotiques par certains), peuvent se révéler les premiers signes cliniques de pathologies lourdes (ex: atteinte des saccades verticales: syndrome de Steele-Richardson; atteinte de la motricité volontaire: tumeur de la glande pinéale).

    Toutefois cette approche, encore trop peu systématique, permet pourtant d'affiner le diagnostic, de mettre en place une prise en charge adaptée et de mieux satisfaire nos patients.

    Mais elle met en évidence l'indispensable coordination des soins entre tous les acteurs de cette prise en charge que sont les médecins, les ophtalmologistes, les opticiens, les orthoptistes et les chirurgiens-dentistes, et ouvre sans doute la voie à des travaux communs à ces disciplines.

    C. Fouanon – J. L. Maïnetti
    - M. Routon – K. Saade



    Article disponible en intégralité (avec des exemples)ici